Seconde Nature
Pousser l'herbe 2013
(pushing the grass)
double video-projection on 2 sheets of paper lying on the ground
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Des traits de crayon vert, c'est de l'herbe, et pour faire ressortir cette herbe comme de l'herbe réelle, Benoît Félix les découpe un par un. Pousser l'herbe. Si le crayon avait été noir ç'aurait été des poils...
L'eau aussi, on peut l'attraper, ou plutôt: la représentation de l'eau: le graphisme le plus simple qu'un enfant ferait pour la représenter. Cette représentation, Benoît Félix en fait un objet: un filet d'eau, à la lettre, qu'il fait flotter sur l'eau elle-même, comme pour rapprocher au plus près, l'objet et sa représentation... pour voir s'ils se confondront? Ou plutôt pour trouver la limite où le champs du langage et celui du réel se repoussent l'un l'autre. On verra donc l'eau porter sa représentation, alors qu'on pourrait dire que c'est plutôt leur représentation qui portent les objets, les découpant du réel comme entités distinctes, pensables... L'eau, donc, portant comme le filet de langage qui permet de la concevoir, sa représentation...
Si le langage découpe du réel indifférencié les objets en les désignant, on pourrait dire de Benoît Félix qu'il réalise cette opération à la lettre (est-ce qu'il se prend pour le langage?). Ce qu'il identifie dans une image, qu'il voit se découper sur le fond, par exemple d'un paysage, il le découpe effectivement, au cutter; manière d'aller saisir dans l'image l'objet dont elle est la représentation, comme cet objet même, à sa place... Evidemment, ce qu'il tiendra en main, alors, ce ne sera pas l'objet lui-même – et, n'est-ce pas, là, ce dont, inlassablement, le travail de Benoît Félix est la vérification? – mais plutôt un lambeau d'image. Morceau d'une image, qui, parce qu'on l'aura fait passer dans l'espace des objets, tombera tout à coup – lamentablement – sous le coup de la loi de la gravité...
Mettre l'image hors d'elle, voilà peut-être le programme à l'oeuvre chez cet artiste; et l'évidence vers laquelle nous mène ce programme est la suivante: les images ont un corps, ou bien: les images sont des objets, mais des objets particuliers en ceci qu'ils doivent nous faire oublier qu'ils sont des objet dans le temps où on les voit comme ces images... Ce serait donc une seconde nature, l'image? Et c'est leur première nature d'objet que Benoît Félix tenterait de saisir? Mais... comme la poule aux oeufs d'or? Noli me tangere. Si tu la touches, elle tombe!
Considérée dans l'état où il l'a mise – hors d'elle – l'image, il faudra à l'artiste, ensuite, la relever: l'installer, la retendre, comme le filet qu'elle ne dit pas qu'elle est, dit-il (filet à regard). On trouve quelque part dans l'exposition, épinglée en avant du mur, une Image grimpante: image gagnée en quelque sorte par les propriétés du lierre grimpant dont elle est l'image...
L'opération consistant à attraper l'image par sa peau, Benoît Félix l'avait d'abord mis en jeu dans ses dessins: pas le dessin d'une chose, la chose d'un dessin, dit-il: c'est le cycle des Incarnations: dessins découpés et installés, ceux-ci sont, dit-il encore, comme le désir que serait le dessin d'être une sculpture. Désir réalisé.
C'est donc bien en touchant ou en manipulant physiquement des dessins ou des images que Benoît Félix travaille. On pourrait encore préciser au sujet de ses dessins qu'ils découlent strictement de ce contact: toucher.
Couper, est l'acte quasi unique, aussi, avec ses effets de sens, qu'il met en oeuvre au moment du montage dans certaines de ses videos.
Déplacer, est l'opération qui fait acte dans des travaux tels que Lift left (video), et les photographies Remettre le monde à l'endroit et Gravité.
Une dernière dimension essentielle de ce travail, que je ne ferai qu'évoquer ici, est celle de l'espace: les oeuvres, mise en jeu à l'occasion d'une exposition y deviennent les pièces partielles d'un jeu à plusieurs dans lequel l'espace lui-même est entraîné. C'est l'espace d'un parcours, et si certains travaux y prennent une place maîtresse, c'est peut-être afin qu'on puisse ne pas voir, dans le même temps, certains autres éléments plus discrets, dans lesquels éventuellement on aura manqué de peu de se prendre les pieds. Oui, avec Benoît Félix, l'image vient parasiter l'espace où nous nous déplaçons, impliquant déambulations, et temporalités variées du parcours, faisant, peut-être du corps du spectateur, tout-à-coup, celui d'un presque danseur? Oui; ou bien non: un chasseur, un chasseur de quelque chose qu'il ne sait pas encore.
Trouver ce que je ne sais pas que je cherche, voici encore l'un des mots d'ordre de l'artiste; et le chemin sur lequel on s'avance quand on s'aventure dans la trame que tissent ses travaux entre eux et avec les particularités de l'espace, est un chemin qu'on a perdu, on s'y risque à la trace, morceau par morceau, en perdant la dimension de l'ensemble à mesure que ses détails nous font signe. C'est un paysage que la promenade à laquelle il invite met en pièces.
Félicien Béni,
notes au sujet du travail de Benoît Félix, Monbazillac, Seconde nature, Octobre 2013